Denis Pascal, un pianiste à suivre

Raconter le concert de la veille, n’est ce pas susciter la frustration, puisque le moment de plaisir est passé ? Ce billet n’a d’autre intention que de rendre hommage au travail d’un artiste.
Hier soir, Denis Pascal a donné beaucoup de lui-même en interprétant Schubert, depuis les Moments musicaux jusqu’à la sonate en si bémol (D. 960 pour les intimes). Evitant le pathos ou, pire, le cabotinage qui consiste à prendre le masque de la mort à chaque rubato, le pianiste a démontré des qualités de coloriste qui ne rencontrent pas tous les jours. A la main droite, le chant, souvent, se donnait des allures printanières, quand la main gauche, à la fois tragique et tenue, scandait le déroulement de la vie.
Quelle aventure aujourd’hui que le concert : autrefois, les spectateurs arrivaient presque vierges de références ou, pour mieux dire, n’avaient à l’esprit que l’écho des récitals précédents. Maintenant, ce sont trente versions d’une même œuvre qui peuplent leur vie quotidienne. Comment présenter la trente et unième sans être pris de vertige ? Réflexion banale direz-vous. Certes, mais à l’instant de pénétrer dans la salle Gaveau- baignée de lumières chaudes qui atténuent désormais le caractère un rien guindé de ses boiseries- ces pensées traversaient l’esprit.
D’un côté, les mélomanes devraient se montrer plus modestes parce que leur acuité résulte un peu d’une connaissance acquise (laquelle dépend de bien des paramètres), mais aussi du climat du jour, de la bonne ou de la mauvaise humeur d’un banquier, d’un sourire ou de la mine boudeuse d’une jolie fille. De l’autre, le pianiste est contraint de se transcender-ce qui réclame un peu plus d’efforts, convenons-en. La liberté, le lâcher prise, à certains égards, peuvent l’aider à se surpasser. Mais encore ? Denis Pascal affirme que, pendant l’exécution publique, il improvise une façon de jouer tel ou tel trait, dans le cadre qu’il a précédemment défini. Voilà ce qui provoque l’émotion, la ferveur : il ne suffit pas de prétendre jouer ce qui est écrit, encore faut-il avoir une idée personnelle sur la manière de le faire. Ici se situe la fidélité que l’interprète apporte au compositeur.
Denis Pascal a prouvé de nouveau qu’il compte parmi les pianistes français de premier plan. Si vous n’avez pas la chance de l’entendre pour de vrai, ne manquez pas ses disques : un artiste authentique vous parle.

Frederick CASADESUS, Médiapart, 5 février 2012